18.11.09

SB

(Streaming Beaubourg)


Vous trouverez ici toutes les vidéos des conférences ayant eu lieu au Centre Pompidou le mois dernier lors des deux jours du colloque L'enjeu Capital(es)

25.10.09

B2

(Biosphère 2)


Superdôme

Biosphère 2 est née dans le désert de l’Arizona en 1991, avec une esthétique et des idéaux puisés dans la lignée des superachitectures. Cette structure d’une superficie de 1.27 Ha avait pour but de recréer un écosystème viable à l’intérieur d’un système clos, permettant notamment d’évaluer la faisabilité de telle structure pour la conquête spatiale.

Dans cette serre, longue de 154 mètres, large de 110 mètres et d’une hauteur maximale de 26 mètres, furent créés 7 biomes et introduit 3800 espèces vivantes. Les biomes (ou mésocosmes) sont des écosystèmes représentatifs d’une aire biogéographique recréée artificiellement ; marais, océan, savane, mangroves, forêt tropical humide...
L’expérience initiale devait mêler l’existence autonome de ces aires biotiques et d’une équipe de 8 personnes pendant environ 4 ans. Ils devaient vivre d’une façon autarcique, nourris par leur propre culture et leur élevage. A l’image des expériences télévisuelles actuelles du type Big Brother, des activités étaient organisées afin de créer une véritable Arcadie - théâtre collectif, ou encore séance de médiation matinale orchestrée par le chef de cette opération, John Allen.

Biosphère 1 VS Biosphère 2


Cette expérience tenta de défier Biosphère 1, la Terre, et s’est retrouvée naturellement face à ses limites.
Tout d’abord techniques, le taux d’oxygène ne se maintenant pas constant, il provoqua la mort de nombreuses espèces et l’obligation de réinjecter artificiellement du CO2 - celui-ci étant absorbé en grand partie par le béton brut - afin de permettre aux biosphériens de vivre.
De plus, malgré l’herméticité théorique de la structure, des fourmis ont réussi à pénétrer créant ainsi un lien avec le monde extérieur. D’autres espèces, notamment des cafards, se sont reproduits à une vitesse exponentielle donnant aux biosphériens beaucoup trop de travail de nettoyage de ces indésirables.
L’ingratitude et la fatigue de ces tâches d'entretien leur coupa tout appétit social. Ils commencèrent à être atteint du symptôme dit Cabin Fever. A l’image de comportements psychologiques proche de Shining et 2001 L'Odyssée de l’espace où la coexistence dans une particule coupée du monde devient meurtrière, et privés de facteurs intoxicants tels que la caféine ou l’alcool, ils brisèrent l’espoir de toute homéostasie et finir par quitter la structure. Au bout de deux longues années, l’expérience Biosphère était terminée.
Une autre mission fut entamée en 1994, elle s’acheva 10 mois plus tard dans un climat de tension et d’agressivité tel que les biosphériens s’échappèrent en brisant délibérément la structure. Après avoir appartenu à l’Université de Columbia c’est désormais l’Université d’Arizona qui est propriétaire des biomes. L’espoir de concevoir une bulle autonome est anéanti, des systèmes de régulation d’air ont été mis en place et les lieux s’ouvrent aux chercheurs, aux étudiants, et aux touristes pour diverses expérimentations à moindre échelle.

Dreamland of Warm Age


En 2007 une société d’investissement et de développement canadienne a acheté le site de B2. Il est désormais prévu de construire un resort comprenant un village vacance et des zones commerciales afin de profiter des retombées économiques de cette curiosité environnementale.

A l’époque de Walt Disney, ce dernier rêvait de bâtir une ville futuristique basée sur le ludoéducatif et inspirée par le new-urbanisme.
Le Lilliputia d’aujourd’hui, Biosphère 2, est mené par des enjeux d’autosuffisance, à l’image d’éco-cités comme Masdar ou Dongtan, qui cherchent leur place appropriée dans la biosphère en agissant elle-même comme des biosphères. Efficacement responsables, avec des bilans zéro carbone, zéro gaspillage... Ces architectures sont de nouveaux dômes.
Ils clament une architecture de limite basée sur l’autorité de la nature, un container amélioré pour un impact minimal sur la vie, tentant ainsi de préserver l’équilibre de l’homme dans l’environnement existant.
Ces nouveaux dômes réagissent à la crise de la destruction du monde en construisant des mondes meilleurs miniatures. La peau a remplacé le sous-sol comme lieu du refuge. Les architectes sont devenus biologistes. Les bâches en plastiques et le ruban adhésif sont les nouveaux abris anti-bombes.


Cette article est librement inspiré des articles de Volume
-Crisis in crisis : Biosphere 2's contested ecologies, Maxime Enrico
-Back to the future, the Edo Biosphere, Thomas Daniell

20.10.09

A&R

(Architecture & Resistance)


Resist whatever seems inevitable.

Resist people who seem invincible.

Resist the embrace of those who have lost.

Resist the flattery of those who have won.

Resist any idea that contains the word algorithm.

Resist the idea that architecture is a building.

Resist the idea that architecture can save the world.

Resist the hope that you’ll get that big job.

Resist getting big jobs.

Resist the suggestion that you can only read Derrida in French.

Resist taking the path of least resistance.

Resist the influence of the appealing.

Resist the desire to make a design based on a piece of music.

Resist the growing conviction that They are right.

Resist the nagging feeling that They will win.

Resist the idea that you need a client to make architecture.

Resist the temptation to talk fast.

Resist anyone who asks you to design only the visible part.

Resist the idea that drawing by hand is passé.

Resist any assertion that the work of Frederick Kiesler is passé.

Resist buying an automobile of any kind.

Resist the impulse to open an office.

Resist believing that there is an answer to every question.

Resist believing that the result is the most important thing.

Resist the demand that you prove your ideas by building them.

Resist people who are satisfied.

Resist the idea that architects are master builders.

Resist accepting honors from those you do not respect.

Resist the panicky feeling that you are alone.

Resist hoping that next year will be better.

Resist the assertion that architecture is a service profession.

Resist the foregone conclusion that They have already won.

Resist the impulse to go back to square one.

Resist believing that there can be architecture without architects.

Resist accepting your fate.

Resist people who tell you to resist.

Resist the suggestion that you can do what you really want later.

Resist any idea that contains the word interface.

Resist the idea that architecture is an investment.

Resist the feeling that you should explain.

Resist the claim that history is concerned with the past.

Resist the innuendo that you must be cautious.

Resist the illusion that it is complete.

Resist the opinion that it was an accident.

Resist the judgement that it is only valid if you can do it again.

Resist believing that architecture is about designing things.

Resist the implications of security.

Resist writing what They wish you would write.

Resist assuming that the locus of power is elsewhere.

Resist believing that anyone knows what will actually happen.

Resist the accusation that you have missed the point.

Resist all claims on your autonomy.

Resist the indifference of adversaries.

Resist the ready acceptance of friends.

Resist the thought that life is simple, after all.

Resist the belated feeling that you should seek forgiveness.

Resist the desire to move to a different city.

Resist the notion that you should never compromise.

Resist any thought that contains the word should.

Resist the lessons of architecture that has already succeeded.

Resist the idea that architecture expresses something.

Resist the temptation to do it just one more time.

Resist the belief that architecture influences behavior.

Resist any idea that equates architecture and ownership.

Resist the tendency to repeat yourself.

Resist that feeling of utter exhaustion.


Lebbeus Wood


PS : Il était bien trop difficile de choisir UNE image pour ce post, je vous conseille dès lors de jeter un oeil sur le blog de Wood, et notamment les carnets de croquis NOTEBOOK

13.10.09

LL

(Les Liquidateurs)


-->
Dans la nuit du 26 avril 1986 et durant les mois qui suivirent, 1 million d’individus furent lancés contre le réacteur de Tchernobyl pour éteindre le graphite brûlant dans le réacteur, recouvrir les ruines d’un sarcophage improvisé, et nettoyer les territoires irradiés aux alentours.
Ces hommes, appelés les liquidateurs, étaient motivés par ce qui fut salué comme un acte de dévouement appuyé par des promesses de salaires élevés et d’avantages sociaux. Seulement, au regard des dangers encourus et des conséquences catastrophiques sur leur santé et celle de leurs enfants ce combat contre les nucléides fut un véritable sacrifice.

Un documentaire sorti en 2003 réalisé par Wladimir Tchertkoff ,prix du meilleur documentaire scientifique et d’environnement retrace l’histoire de ces hommes, ponctué de témoignages hallucinants prouvant l’horreur des effets radiant et montrant a quel point leur actes héroïques restent dans l’indifférence générale, malgré le fait qu’ils aient sauvé l’Europe.

-->« Les scientifiques soviétiques avaient calculé que si l’incendie n’était pas éteint avant le 8 mai, le combustible nucléaire en fusion aurait percé la dalle de béton sous jacente se serait précipité dans le bassin de refroidissement et aurait amorcé une explosion atomique 20 à 50 fois supérieure à celle d’Hiroshima, l’Europe aurait été inhabitable »



-->
Après avoir enfilé leur protection de plomb, les hommes se lançaient sur le toit au son d’une sirène et en repartaient en courant 60 secondes plus tard au son de la même sirène afin d’être remplacés par une nouvelle équipe. À cause du poids de leur protection de plomb (qu'ils fabriquaient eux mêmes) , les liquidateurs n’avaient le temps de ramasser que 2 ou 3 morceaux avec leur pelle pendant la minute qui leur était allouée.

Le documentaire complet de 24 minutes est à visionner ici.

20.9.09

FU

(Fractures Urbaines)

"Quelles réponses amener à la crise des banlieues ? Une plus grande mixité, un cadre de vie plus agréable peuvent-ils changer les choses ? Peut-être, mais force est de constater que 30 ans de politique de la ville n'ont pas amené les résultats escomptés. Pour le professeur Eckardt, tenter d'influencer ou de modifier artificiellement la structure sociale d'un quartier par des mesures architecturales ne résoud rien"



Via Counterfeit-mess

10.9.09


Truffaut / Hitchcock
Entretiens



En avril 1962, François Truffaut adresse une longue lettre à Alfred Hitchcock :
"Cher monsieur Hitchcock...
Au cours de mes discussions avec des journalistes étrangers et surtout à New York, je me suis rendu compte que l'on se fait souvent une idée un peu superficielle de votre travail. D'autre part, la propagande que nous avons faite aux Cahiers du cinéma était excellente pour la France, mais inadéquate pour l'Amérique, car trop intellectuelle. Depuis que je fais de la mise en scène, mon admiration pour vous n'a point faibli, au contraire, elle s'est accrue et modifiée. J'ai vu cinq à six fois chacun de vos films, et je les regarde à présent davantage sous l'angle de la fabrication. Beaucoup de cinéastes ont l'amour du cinéma, mais vous, vous avez l'amour de la pellicule et c'est de cela que je voudrais parler avec vous. Je que vous m'accordiez un entretien au magnétophone qui se poursuivrait pendant une huitaine de jours et totaliserait une trentaine d'heures d'enregistrement, et cela dans le but d'en tirer non des articles, mais un livre entier qui serait publié simultanément à New York et à Paris, puis par la suite probablement un peu partout dans le monde.
"
A Los Angeles, Hitchcock achève son 48ème film, Les oiseaux. Il télégraphie à Truffaut pour lui fixer la date de leur premier rendez-vous : le 13 août 1962, jour de son 63ème anniversaire, dans ses bureaux à Universal.
Truffaut, qui ne parle pas anglais, arrive accompagné d'Helen Scott, une amie américaine qui, dit-il à Hitchcock, "pratique la traduction simultanée avec une telle vélocité que nous aurons l'impression d'avoir parlé ensemble sans intermédiaire".
Durant une semaine entière, à raison de plusieurs heures par jour, Truffaut s'entretient avec Hitchcock sur toute sa carrière, film par film, couvrant toute son oeuvre jusqu'aux Oiseaux.
Le livre d'entretiens Hitchcock-Truffaut paru en 1966 a sans cesse été réédité. C'est sans doute aujourd'hui encore le livre de cinéma le plus célèbre.
Vous trouverez ici les mp3 des 52 bobines des entretiens originaux.


25.8.09

GI

(Ghost Island)

A environ une heure de bateau du port de Nagasaki, l’île abandonnée de Hishami s’effondre en silence. Surnommée Gunkajima (l'île navire de guerre) Cette ancienne exploitation de mines de charbon qui appartenait à Mitsubishi Motors fut autrefois l’endroit le plus densément peuplé sur Terre, concentrant 835 hab/ha pour l'île entière, ou 1,391 hab/ha pour le district résidentiel . Ce complexe fut en service de 1887 à 1974, après quoi l’industrie du charbon fit faillite et les mines fermèrent pour de bon. Comme ils avaient perdu leur emploi et n’avaient pas d’autre raison de rester dans ce cauchemar urbain miniature, en presque une nuit toute la population repartit pour la métropole, abandonnant et condamnant à la pourriture la majeure partie de leurs affaires.

Il est désormais absolument illégal de s'aventurer ne serait-ce qu'aux abords du lieu tant il est dangereux, et sa restauration inconcevable. Le Gouvernement ne tient pas non plus qu’on porte trop attention à ce lieu, témoin d'une révolution industrielle d'après-guerre plutôt rude.

Ouverte au public depuis 2009, il fut dangereux d'être pris en train de visiter l’île d’Hashima, les illégaux explorateurs écopant de 30 jours de prison suivis d’une déportation immédiate.


Si vous souhaitez en savoir plus sur des lieux abandonnés, je vous conseille de jeter un œil à cette base de données d'exploration urbaine, et aussi ici via google maps


Ce post fait écho à LS (La Soufrière) et UA (Underground Archeology) et aussi aux expéditions indiennes de Boiteàoutils
Merci à Benjamin

21.8.09

IV

(L'Insurrection qui Vint)

Rien de neuf ici, seulement une petite année de retard, et un post qui surfe sur la vague ultra-gauche, déjà largement médiatisé, mais ne sait-on jamais.


"Il n’y a pas de «catastrophe environnementale». Il y a cette catastrophe qu’est l’environnement. L’environnement, c’est ce qu’il reste à l’homme quand il a tout perdu. Ceux qui habitent un quartier, une rue, un vallon, une guerre, un atelier, n’ont pas d’« environnement », ils évoluent dans un monde peuplé de présences, de dangers, d’amis, d’ennemis, de points de vie et de points de mort, de toutes sortes d’êtres. Ce monde a sa consistance, qui varie avec l’intensité et la qualité des liens qui nous attachent à tous ces êtres, à tous ces lieux. Il n’y a que nous, enfants de la dépossession finale, exilés de la dernière heure – qui viennent au monde dans des cubes de béton, cueillent des fruits dans les supermarchés et guettent l’écho du monde à la télé– pour avoir un environnement. Il n’y a que nous pour assister à notre propre anéantissement comme s’il s’agissait d’un simple changement d’atmosphère. Pour s’indigner des dernières avancées du désastre, et en dresser patiemment l’encyclopédie. Ce qui s’est figé en un environnement, c’est un rapport au monde fondé sur la gestion, c’est-à-dire sur l’étrangeté. Un rapport au monde tel que nous ne sommes pas faits aussi bien du bruissement des arbres, des odeurs de friture de l’immeuble, du ruissellement de l’eau, du brouhaha des cours d’école ou de la moiteur des soirs d’été, un rapport au monde tel qu’il y a moi et mon environnement, qui m’entoure sans jamais me constituer. Nous sommes devenus voisins dans une réunion de copropriété planétaire. On n’imagine guère plus complet enfer. La situation est la suivante: on a employé nos pères à détruire ce monde, on voudrait maintenant nous faire travailler à sa reconstruction et que celle-ci soit, pour comble, rentable. L’excitation morbide qui anime désormais journalistes et publicitaires à chaque nouvelle preuve du réchauffement climatique dévoile le sourire d’acier du nouveau capitalisme vert, celui qui s’annonçait depuis les années 1970, que l’on attendait au tournant et qui ne venait pas. Eh bien, le voilà ! L’écologie, c’est lui ! Les solutions alternatives, c’est encore lui ! Le salut de la planète, c’est toujours lui ! Plus aucun doute : le fond de l’air est vert ; l’environnement sera le pivot de l’économie politique du XXIe siècle. À chaque poussée de catastrophisme correspond désormais une volée de « solutions industrielles ». C’est que l’environnement a ce mérite incomparable d’être, nous dit-on, le premier problème global qui se pose à l’humanité. Un problème global, c’est-à-dire un problème dont seuls ceux qui sont organisés globalement peuvent détenir la solution. Et ceux-là, on les connaît. Ce sont les groupes qui depuis près d’un siècle sont à l’avant-garde du désastre et comptent bien le rester, au prix minime d’un changement de logo.
L’écologie n’est pas seulement la logique de l’économie totale, c’est aussi la nouvelle morale du Capital. L’état de crise interne du système et la rigueur de la sélection en cours sont tels qu’il faut à nouveau un critère au nom duquel opérer de pareils tris. L’idée de vertu n’a jamais été, d’époque en époque, qu’une invention du vice. On ne pourrait, sans l’écologie, justifier l’existence dès aujourd’hui de deux filières d’alimentation, l’une « saine et biologique» pour les riches et leurs petits, l’autre notoirement toxique pour la plèbe et ses rejetons promis à l’obésité. L’hyper-bourgeoisie planétaire ne saurait faire passer pour respectable son train de vie si ses derniers caprices n’étaient pas scrupuleusement « respectueux de l’environnement ». Sans l’écologie, rien n’aurait encore assez d’autorité pour faire taire toute objection aux progrès exorbitants du contrôle. Traçabilité, transparence, certification, éco-taxes, excellence environnementale, police de l’eau laissent augurer de l’état d’exception écologique qui s’annonce. Tout est permis à un pouvoir qui s’autorise de la Nature, de la santé et du bien-être. «Une fois que la nouvelle culture économique et comportementale sera passée dans les moeurs, les mesures coercitives tomberont sans doute d’elles-mêmes. » Il faut tout le ridicule aplomb d’un aventurier de plateau télé pour soutenir une perspective aussi glaçante et nous appeler dans un même temps à avoir suffisamment «mal à la planète» pour nous mobiliser et à rester suffisamment anesthésiés pour assister à tout cela avec retenue et civilité. Le nouvel ascétisme bio est le contrôle de soi qui est requis de tous pour négocier l’opération de sauvetage à quoi le système s’est lui-même acculé. C’est au nom de l’écologie qu’il faudra désormais se serrer la ceinture, comme hier au nom de l’économie."

Comité invisible, L'insurrection qui vient

à télécharger ici

12.8.09


L'Amour Existe 
Maurice Pialat



Longtemps j’ai habité la banlieue. Mon premier souvenir est un souvenir de banlieue. Aux confins de ma mémoire, un train de banlieue passe, comme dans un film. La mémoire et les films se remplissent d’objets qu’on ne pourra plus jamais appréhender.

Longuement j’ai habité ce quartier de Courbevoie. Les bombes démolirent les vieilles maisons, mais l’église épargnée fut ainsi dégagée. Je troque une victime contre ces pierres consacrées ; c’était un camarade d’école ; nous chantions dans la classe proche : « Mourir pour la patrie », « Un jour de gloire vaut cent ans de vie ».

Les cartes de géographie Vidal de Lablache éveillaient le désir des voyages lointains, mais entretenaient surtout leur illusion au sein même de nos paysages pauvres.

Un regard encore pur peut lire sans amertume ici où le mâchefer la poussière et la rouille sont comme un affleurement des couches géologiques profondes.

Palais, Palace, Eden, Magic, Lux, Kursaal… La plus belle nuit de la semaine naissait le jeudi après-midi. Entassés au premier rang, les meilleures places, les garçons et les filles acquittent pour quelques sous un règne de deux heures.

Parce que les donjons des Grands Moulins de Pantin sont un « Burg » dessiné par Hugo, le verre commun entassé au bord du canal de l’Ourcq scintille mieux que les pierreries.

A quinze ans, ce n’est rien de dépasser à vélo un trotteur à l’entraînement. Le vent d’hiver coupait le polygone du Bois de Vincennes ; moins sévère que le vent de l’hiver à venir qui verrait les Panzers répéter sur le terrain.

Promenades, premiers flirts au bord de la Marne, ombres sombres et bals muets, pas de danse pour les filles, les guinguettes fermeraient leurs volets. Les baignades de la Marne, Eldorado d’hier, vieillies, muettes et rares dorment devant la boue.

Soudain les rues sont lentes et silencieuses. Où seront les guinguettes, les fritures de Suresnes ? Paris ne s’accordera plus aux airs d’accordéon.


La banlieue entière s’est figée dans le décor préféré du film français. A Montreuil, le studio de Méliès est démoli. Ainsi merveilles et plaisirs s’en vont, sans bruit

« La banlieue triste qui s’ennuie, défile grise sous la pluie » chantait Piaf. La banlieue triste qui s’ennuie, défile grise sous la pluie. L’ennui est le principal agent d’érosion des paysages pauvres.

Les châteaux de l’enfance s’éloignent, des adultes reviennent dans la cour de leur école, comme à la récréation, puis des trains les emportent.

La banlieue grandit pour se morceler en petits terrains. La grande banlieue est la terre élue du P’tit pavillon. C’est la folie des p’titesses. Ma p’tite maison, mon p’tit jardin, mon p’tit boulot, une bonne p’tite vie bien tranquille.

Vie passée à attendre la paye. Vie pesée en heures de travail. Vie riche en heures supplémentaires. Vie pensée en termes d’assistance, de sécurité, de retraite, d’assurance. Vivants qui achètent tout au prix de détail et qui se vendent, eux, au prix de gros.

On vit dans la cuisine, c’est la plus petite pièce. En dehors des festivités, la salle à manger n’ouvre ses portes qu’aux heures du ménage. C’est la plus grande pièce : on y garde précieusement les choses précieuses.

Vies dont le futur a déjà un passé et le présent un éternel goût d’attente.

Le pavillon de banlieue peut être une expression mineure du manque d’hospitalité et de générosité du Français. Menacé il disparaîtra.

Pour être sourde la lutte n’en est pas pour autant silencieuse. Les téméraires construisent jusqu’aux avants-postes.

L’agglomération parisienne est la plus pauvre du mon-de en espaces verts. Cependant la destruction systémati-que des parcs an-ciens n’est pas achevée. Massacre au gré des spéculations qui sert la mode de la ré-sidence de faux luxe, cautionnée par des arbres centenaires.

Voici venu le temps des casernes civiles. Univers concentrationnaire payable à tempérament. Urbanisme pensé en termes de voirie. Matériaux pauvres dégradés avant la fin des travaux.

Le paysage étant généralement ingrat. On va jusqu’à supprimer les fenêtres puisqu’il n’y a rien à voir.

Les entrepreneurs entretiennent la nostalgie des travaux effectués pour le compte de l’organisation Todt.

Parachèvement de la ségrégation des classes. Introduc-tion de la ségrégation des âges : parents de même âge ayant le même nombre d’enfants du même âge. On ne choisit pas, on est choisi.

Enfants sages comme des images que les éducateurs désirent. Jeux troubles dans les caves démesurées. Contraintes des jeux préfabriqués ou évasion ? Quels seront leurs souvenirs ?

Le bonheur sera décidé dans les bureaux d’études. La ceinture rouge sera peinte en rose. Qui répète aujourd’hui du peuple français qu’il est indiscipliné. Toute une classe conditionnée de copropriétaires est prête à la relève. Classe qui fait les bonnes élections. Culture en toc dans construction en toc. De plus en plus la publicité prévaut contre la réalité.

Ils existent à trois kilomètres des Champs-Élysées. Constructions légères de planches et de cartons goudronnés qui s’enflamment très facilement. Des ustensiles à pétrole servent à la cuisine et à l’éclairage.

Nombre de microbes respirés dans un mètre cube d’air par une vendeuse de grands magasins : 4 millions

Nombre de frappes tapées dans une année par une dactylo : 15 millions

Déficit en terrain de jeux, en terrain de sport :75%

Déficit en jardin d’enfant : 99%

Nombre de lycées dans les communes de la Seine : 9. Dans Paris : 29

Fils d’ouvriers à l’Université : 3%. A l’Université de Paris : 1,5%

Fils d’ouvriers à l’école de médecine : 0,9%.

A la Faculté de lettres : 0,2%

Théâtre en-dehors de Paris : 0. Salle de concert : 0


La moitié de l’année, les heures de liberté sont dans la nuit. Mais tous les matins, c’est la hantise du retard.

Départ à la nuit noire. Course jusqu’à la station. Trajet aveugle et chaotique au sein d’une foule serrée et moite. Plongée dans le métro tiède. Interminable couloir de correspondance. Portillon automatique. Entassement dans les wagons surchargés. Second trajet en autobus. Le travail est une délivrance. Le soir, on remet ça : deux heures, trois heures, quatre heures de trajet chaque jour.

Cette eau grise ne remue que les matins et les soirs. Le gros de la troupe au front du travail, l’arrière tient. Le pays à ses heures de marée basse.


L’autobus, millionnaire en kilomètres, et le travailleur, millionnaire en geste de travail, se sont séparés une dernière fois, un soir, si discrètement qu’ils n’y ont pas pris garde.

D’un côté les vieux autobus à plate-forme n’ont pas le droit à la retraite, l’administration les revend, ils doivent recommencer une carrière.

De l’autre, les vieux travailleurs. Vieillesse qui doit, dans l’esprit de chaque salarié, indubitablement survenir. Vieillesse comme récompense, comme marché que chacun considère avoir passé. Ils ont payé pour ça. Payé pour être vieux. Le seul âge où l’on vous fout la paix. Mais quelle paix ? Le repos à neuf mille francs par mois. L’isolement dans les vieux quartiers. L’asile. Ils attendent l’heure lointaine qui revient du pays de leur enfance, l’heure où les bêtes rentrent. Collines gagnées par l’ombre. Aboiement des chiens. Odeur du bétail. Une voix connue très lointaine… Non. Ils pourraient tendre la main et palper la page du livre, le livre de leur première lecture.


Les squares n’ont pas remplacé les paysages de L’Ile de France qui venaient, hier encore, jusqu’à Paris, à la rencontre des peintres.

Le voyageur pressé ignore les banlieues. Ces rues plus offertes aux barricades qu’aux défilés gardent au plus secret des beautés impénétrables. Seul celui qui eût pu les dire se tait. Personne ne lui a appris à les lire. Enfant doué que l’adolescence trouve cloué et morne, définitivement. Il n’a pas fait bon de rester là, emprisonné, après y être né. Quelques kilomètres de trop à l’écart.

Des années et des années d’hôtels, de « garnis ». Des entassements à dix dans la même chambre. Des coups donnés, des coups reçus. Des oreilles fermées aux cris. Et la fin du travail à l’heure où ferment les musées. Aucune promotion, aucun plan, aucune dépense ne permettra la cautérisation. Il ne doit rien rester pour perpétrer la misère. La leçon des ténèbres n’est jamais inscrite au flanc des monuments.

La main de la gloire qui ordonne et dirige, elle aussi peut implorer. Un simple changement d’angle y suffit.


Ici le court métrage complet

11.8.09


Modernité Liquide
Entretien avec Zygmunt Baumann



Zygmunt Bauman est l'un des sociologues actuels les plus influents. Il affirme que nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la modernité. Avec cette « seconde modernité » ou, selon l'expression de Z. Bauman, la « modernité liquide », les individus sont désormais libres de se définir en toute circonstances. Rejoignant sur ce point l'analyse d'A. Giddens, Z. Bauman modère l'enthousiasme de ce dernier quant aux vertus de cette évolution. Livre après livre, Z. Bauman n'a de cesse de recenser les dégâts de nos « sociétés individualisées ». A ses yeux, celles-ci vont de pair avec une extrême précarisation des liens, qu'ils soient intimes ou sociaux. L'approfondissement de la modernité est aussi son dévoiement, l'exaltation de l'autonomie ou de la responsabilité individuelle mettant chacun en demeure de résoudre des problèmes qui n'ont d'autres solutions que collectives.

Pourquoi la « liquidité » vous semble-t-elle une bonne métaphore de la société actuelle ?
Contrairement aux corps solides, les liquides ne peuvent pas conserver leur forme lorsqu'ils sont pressés ou poussés par une force extérieure, aussi mineure soit-elle. Les liens entre leurs particules sont trop faibles pour résister... Et ceci est précisément le trait le plus frappant du type de cohabitation humaine caractéristique de la « modernité liquide ». D'où la métaphore. Les liens humains sont véritablement fragiles et, dans une situation de changement constant, on ne peut pas s'attendre à ce qu'ils demeurent indemnes. Se projeter à long terme est un exercice difficile et peut de surcroît s'avérer périlleux, dès lors que l'on craint que les engagements à long terme ne restreignent sa liberté future de choix. D'où la tendance à se préserver des portes de sortie, à veiller à ce que toutes les attaches que l'on noue soient aisées à dénouer, à ce que tous les engagements soient temporaires, valables seulement « jusqu'à nouvel ordre ». La tendance à substituer la notion de « réseau » à celle de « structure » dans les descriptions des interactions humaines contemporaines traduit parfaitement ce nouvel air du temps. Contrairement aux «structures » de naguère, dont la raison d'être était d'attacher par des noeuds difficiles à dénouer, les réseaux servent autant à déconnecter qu'à connecter...


Vous avez consacré un livre aux relations amoureuses d'aujourd'hui. Est-ce un domaine privilégié pour analyser les sociétés d'aujourd'hui ?Les relations amoureuses sont effectivement un domaine de l'expérience humaine où la « liquidité » de la vie s'exprime dans toute sa gravité et est vécue de la manière la plus poignante, voire la plus douloureuse. C'est le lieu où les ambivalences les plus obstinées, porteuses des plus grands enjeux de la vie contemporaine, peuvent être observées de près. D'un côté, dans un monde instable plein de surprises désagréables, chacun a plus que jamais besoin d'un partenaire loyal et dévoué. D'un autre côté, cependant, chacun est effrayé à l'idée de s'engager (sans parler de s'engager de manière inconditionnelle) à une loyauté et à une dévotion de ce type. Et si à la lumière de nouvelles opportunités, le partenaire actuel cessait d'être un actif, pour devenir un passif ? Et si le partenaire était le(la) premier(ère) à décider qu'il ou elle en a assez, de sorte que ma dévotion finisse à la poubelle ? Tout cela nous conduit à tenter d'accomplir l'impossible : avoir une relation sûre tout en demeurant libre de la briser à tout instant... Mieux encore : vivre un amour vrai, profond, durable ? mais révocable à la demande... J'ai le sentiment que beaucoup de tragédies personnelles dérivent de cette contradiction insoluble. Il y a seulement dix ans enarrière, la durée moyenne d'un mariage (sa « période critique ») était de sept ans. Elle n'était plus que de dix-huit mois il y a deux ans de cela. Au moment même où nous parlons, tous les tabloïds britanniques nous informent que « Renée Zellweger, qui a interprété le rôle de Brit, l'amoureuse transie du Journal de Bridget Jones et la pop'star Kenny Chesney s'apprêtent à annuler leur mariage, vieux de quatre mois ». L'amour figure au premier chef des dommages collatéraux de la modernité liquide. Et la majorité d'entre nous qui en avons besoin et courons après, figurons aussi parmi les dégâts...

Vous considérez la « moralité » comme une réponse à la fragmentation de la société, à la précarité des engagements. Pourquoi cela ?Comme j'ai tenté de l'expliquer, la contradiction à laquelle nous sommes confrontés est réelle ? et aucune solution évidente, ne parlons même pas de « solution clé en main », n'est disponible en magasin. Vouloir sauver l'amour du tourbillon de la « vie liquide » est nécessairement coûteux. La moralité, comme l'amour, est coûteuse ? ce n'est pas une recette pour une vie facile et sans souci, comme peuvent le promettre les publicités pour les biens de consommation. La moralité signifie « être pour l'autre ». Elle ne récompense pas l'amourpropre (Z.B. emploie l'expression française). La satisfaction qu'elle confère à l'amant découle du bien-être et du bonheur de l'être aimé. Or, contrairement à ce que les publicités peuvent suggérer, faire don de soi-même à un autre être humain procure un bonheur réel et durable. On ne peut pas refuser le sacrifice de soi et s'attendre dans le même temps à vivre l'« amour vrai » dont nous rêvons tous. On peut faire l'un ou l'autre, mais difficilement les deux en même temps... Tzvetan Todorov a justement pointé le fait que, contrairement à ce qu'entretient la croyance populaire (croyance responsable de nombreux désastres dans les sociétés modernes et dans la vie de leurs membres), la valeur véritable, celle qui devrait être recherchée et pratiquée, c'est la bonté et non le « bien ». De nombreux crimes répugnants, collectifs aussi bien qu'individuels, ont été perpétrés, au cours du siècle dernier (et encore aujourd'hui), au nom du bien. Le bien renvoie à une valeur absolue : si je sais ce que c'est, je suis autorisé à justifier n'importe quelle atrocité en son nom. La bonté signifie au contraireécouter l'autre, elle implique un dialogue, une sensibilité aux raisons qu'il ou elle peut invoquer. Le bien évoque l'assurance et la suffisance, la bonté plutôt le doute et l'incertitude ?mais Odo Marquard, sage philosophe allemand, nous rappelle que lorsque les gens disent qu'ils savent ce qu'est le bien, vous pouvez être sûr qu'ils vont se battre au lieu de se parler...


Vous opposez la « liquidité » du monde d'aujourd'hui à la « solidité » des institutions du monde industriel d'hier (de l'usine à la famille). Ne surévaluez-vous pas la puissance de ces institutions, leur capacité de contrôle sur les individus ?Le terme « solidité » ne renvoie pas simplement au pouvoir. Des institutions « solides » ? au sens de durables et prévisibles ? contraignent autant qu'elles rendent possible l'action des acteurs. Jean-Paul Sartre, dans un mot fameux, a insisté sur le fait qu'il n'est pas suffisant d'être « né » bourgeois pour « être » un bourgeois : il est nécessaire de « vivre sa vie entière comme un bourgeois »... Du temps de J.-P. Sartre, cependant, lorsque des institutions durables encadraient les processus sociaux, profilaient les routines quotidiennes et conféraient des significations aux actions humaines et à leurs conséquences, ce que l'on devait faire afin de « vivre sa vie comme un bourgeois » était clair, pour le présent autant que pour un futur indéfini. On pouvait suivre la route choisie en étant peu exposé au risque de prendre un virage qui serait rétrospectivement jugé erroné. On pouvait alors composer ce que J.-P. Sartre appelait « le projet de la vie » ? et l'on pouvait espérer de la voir se dérouler jusqu'à son terme. Mais qui pourrait rassembler assez de courage pour concevoir un projet « d'une vie entière », alors que les conditions dans lesquelles chacun doit accomplir ses tâches quotidiennes, que la définition même des tâches, des habitudes, des styles de vie, que la distinction entre le « comme il faut » et le « il ne faut pas », tout cela ne cesse de changer de manière imprévisible et beaucoup trop rapidement pour se « solidifier » dans des institutions ou se cristalliser dans des routines ?

Peut-on simplement penser les sociétés actuelles comme composées d'individus livrés à eux-mêmes ?Notre « société individualisée » est une sorte de pièce dans laquelle les humains jouent le rôle d'individus : c'est-à-dire des acteurs qui doivent choisir de manière autonome. Mais faire figure d'Homo eligens (d'« acteur qui choisit ») n'est pas l'objet d'un choix. Dans La Vie de Brian, le film des Monty Python, Brian (le héros) est furieux d'avoir été proclamé Messie et d'être suivi partout par une horde de disciples. Il tente désespérément de convaincre ses poursuivants d'arrêter de se comporter comme un troupeau de moutons et de se disperser. Le voilà qui leur crie « Vous êtes tous des individus ! »« Nous sommes tous des individus ! », répond à l'unisson le choeur des dévots. Seule une petite voix solitaire objecte : « Pas moi... » Brian tente une autre stratégie : « Vous devez être différents ! », crie-t-il. « Oui, nous sommes tous différents », acquiesce le choeur avec transport. A nouveau, une seule voix solitaire objecte : « Pas moi... » En entendant cela, la foule en colère regarde autour d'elle, avide de lyncher le dissident, pour peu qu'elle parvienne à l'identifier dans une masse d'individus identiques...
Nous sommes tous des « individus de droit » appelés (comme l'a observé Ulrich Beck) à chercher des solutions individuelles à des problèmes engendrés socialement. Comme par exemple acheter le bon cosmétique pour protéger son corps de l'air pollué, ou bien « apprendre à se vendre » pour survivre sur un marché du travail flexible. Le fait que l'on obtienne de nous que nous recherchions de telles solutions ne signifie pas que nous soyons capables de les trouver. La majorité d'entre nous ne dispose pas, la plupart du temps, des ressources requises pour devenir et demeurer des « individus de facto ». En outre, il n'est absolument pas sûr que des solutions individuelles à des problèmes socialement construits existent réellement. Comme Cornelius Castoriadis et Pierre Bourdieu l'ont répété infatigablement, s'il y a une chance de résoudre des problèmes engendrés socialement, la solution ne peut être que collective.

La notion d'hybridité culturelle revient pour vous à des identités « liquides », « flexibles », aux composantes interchangeables. L'hybridité ne peut-elle pas donner lieu à des identités durables ?P. Bourdieu a montré il y a quelques décennies que plus une catégorie sociale était située en haut de la « hiérarchie culturelle » (les privilèges sociaux étaient alors toujours défendus en termes de « supériorité culturelle », la culture des « classes supérieures » étant définie comme la « culture supérieure »), plus son goût artistique et son style de vie était confinés de manière stricte et précise. Ce n'est plus le cas le aujourd'hui (si vous en doutez, consultez l'étude stimulante d'Yves Michaud, L'Art à l'état gazeux). Les « élites » s'enorgueillissent d'être des omnivores culturels : elles font ce qu'elles peuvent (et ce qui est couramment requis) pour apprécier toute la production disponible, et pour se sentir aussi à leur aise dans la culture d'élite que dans la culture populaire. Se sentir partout chez soi signifie cependant n'être jamais chez soi nulle part. Ce type de « chez soi » ressemble à s'y méprendre à un no man's land. Ce sont comme des chambres d'hôtel. Si la sorte de culture que l'on pratique est un instrument de distinction sociale, alors posséder et conserver un goût fluide ou flexible, éviter tout engagement et être prêt à accepter, promptement et rapidement, toute la production culturelle disponible, maintenant ou dans un futur inconnu, est devenu à notre époque LE signe de distinction. C'est aussi un dispositif de séparation, consistant à se maintenir à distance des groupes ou des classes qui sont englués dans un syndrome culturel résistant au changement. Il découle de toutes mes investigations que la séparation sociale, la liberté de mouvement, le non-engagement sont les premiers enjeux d'un jeu culturel qui s'avère d'une importance cruciale pour les élites « globales » contemporaines. Ces élites (aussi bien intellectuelles que culturelles) sont mobiles et extraterritoriales, contrairement à la majorité de ceux qui demeurent « attachés au sol ». « L'hybridité culturelle » est, peut-on avancer, une glose théorique sur cette distinction. Elle ne semble, de ce fait, en aucun cas une étape sur la route de l'« unité culturelle » de l'humanité.


La notion de paysage (scape) ou de « couloirs culturels transnationaux » évoque cependant un autre type d'hybridité, celle naissant d'une interaction entre différentes parties du monde et permettant à des populations, des migrants par exemple, de s'inscrire durablement dans un espace culturel composite...La mondialisation ne se déroule pas dans le « cyberespace », ce lointain « ailleurs », mais ici, autour de vous, dans les rues où vous marchez et à l'intérieur de chez vous... Les villes d'aujourd'hui sont comme des décharges où les sédiments des processus de mondialisation se déposent. Mais ce sont aussi des écoles ouvertes 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 où l'on apprend à vivre avec la diversité humaine et où peut-être on y prend plaisir et on cesse de voir la différence comme une menace. Il revient aux habitants des villes d'apprendre à vivre au milieu de la différence et d'affronter autant les menaces que les chances qu'elle représente. Le « paysage coloré des villes » suscite simultanément des sentiments de « mixophilie » et de « mixophobie ». Interagir quotidiennement avec un voisin d'une « couleur culturelle » différente peut cependant permettre d'apprivoiser et domestiquer une réalité qui peut sembler effrayante lorsqu'on l'appréhende comme un « clash de civilisation »...

Propos recueillis par Xavier de la Vega
Le lien ici

11.7.09

SD

(Sustainable Dystopia)

Argument en faveur d'une éthique urbaine non anthropisé, par Stefano Boeri.

(…) Cet éthique non-anthropisée ne doit pas abandonner l’humanité à son sort, mais simplement la placé au centre d’une nouvelle sorte de discours, dans lequel l'humanité n’est plus le piédestal de la vie.
La condition urbaine est – sans doute – le premier palier-test pour cette nouvelle éthique. La métropole contemporaine est un des plus important site dans l’intensification d’une énergie négative dans ce type de dynamique – démographique, environnementale, économique – qui nous dirige vers un suicide de l’espèce… De plus la métropole est aussi l’endroit où les inégalités et les injustices liés à la race humaine sont trouvés dans leur forme les plus extrêmes.
Le support pour la perspective d’une éthique non-anthropocentrique implique une nouvelle idée de l’urbanité, une vue où l’humanité se trouverait dans un contexte spatiale en cohabitation avec un kaléidoscope de vies plutôt que dans l’acceptation d’une hégémonie d’un pouvoir pré établi. Cela implique une distribution égale des conditions liées à la mobilité sociale, à l’expérimentation de la cohabitation des différentes espèces et la reconstruction de différentes sortes de relations avec les composants d’un monde naturel. Nous avons besoin de penser à propos d’une politique urbaine basé sur l’inclusion dans laquelle ces principes et ces valeurs protectrices affectent le futur du monde entier et ses écosystèmes.
Nous pouvons indiquer trois zones d’action.
La première se rapporte à la re-naturalisation des espaces urbains. Une perspective non anthropologique change la manière de comprendre le monde. L’idée est de voir dans l’espace urbain –non pas un dense caillot de ciment entouré de plis d’asphaltes avec à l’extérieur de grand paysages non anthropocentriques en voie de disparition ; mais de restaurer des parties de la ville dans un état de biodiversité naturel à travers une série de politiques dans lesquelles se connectent des zones entière de vies sauvages. De tel politique voudrait inclure une forestation des zones périphériques et des corridors urbains, la transformation d’ancienne zone agricole en zone de protection naturelle, la création de corridors verts occupant des espaces vides dans le tissu urbain, la graduel déminéralisation des façades et des toits de la ville à travers l’usage de matériaux couvrant permettant la croissance de différentes types de plantes.
Un second jeu d’actions anti-anthropocentriques est relatif à la bio-diversité du monde animal et à la possibilité de cohabitation des espèces. Ces zones difficiles et peu recherchées ne peuvent encore rester longtemps oubliées. Au moins, dans le sens que derrière les barrières qui sont liées à la croissance et la culture du monde animal, il y a un besoin urgent de repenser et de créer dans les espaces urbains des zones protégés pour la circulation libre des espèces compatibles avec l’eco-système urbain ; Cela peut former des parcs et des oasis à l’abri du monde anthropocentrique, ou l’urbanité est contrôlé par les lois du royaume animal et où la biodiversité devient une voie pour les espèces animales qui nous observe pendant que nous restons dans nos barrières artificielles (…)

Ce post est la traduction partielle d'un article provenant du Volume NEXT NATURE, réalisé en collaboration avec Koert Van Mensvoort, rédacteur du blog Next Nature.

29.6.09

NB

(Neville's Bookshelf)

Yesterday I had the chance to interview Neville Mars, director of the Dynamic City Foundation in Beijing and author of "The Chinese Dream: a Society under Construction". I basically picked four books into his bookshelf and asked him to comment them. He participated into the two first ones, Save me from what I want, from the group sexymachinery, edited by Shumon Basar and Vision plus money plus historical circumstance equals 'Cities from Zero', unapologetic expressions of new-found economic - and therefore political - prowess in the 21st century edited by Shumon Basar. The third one is a classic: Mutations, by Rem Koolhaas/Harvard,and the last is a photography book, China Daily Life, by Reineke Otten.





Neville Mars: "Save me from what I want" is a really small beautiful sensitive little project from a team all connected to the AA in London. This team is called sexymachinery and was run by Shumon Basar. It was sort of a cross between art, society and architecture; and this particular booklet is about desire. I wrote a little introductory article called "a message of hope for an uncertain futur". This was in a time where the real big uncertainties hadn't even emerged yet, like 9/11, and the Bush area, etc. This was a time right after the New-Year Eve of the new millenium, with the Y2K bug and stuff like that. It talks about an idea of new generation emerging and how this new generation has to somehow find its own identity. And I was arguing that maybe, you know what many people says the current young generation is completely absorbed with the internet and therefore they would be less creative, etc... This kind of very traditional...


(NDLR): Your point here is it would be the opposite, right?


NM: In a way it's the opposite. What I did is I mentioned a all bunch of arguments that they are right, that we should be very skeptical of the current sort of mobile trend. But at the end of the day, there is nothing, there hasn't been anything quite yet as creative as the internet and the emergence in 2000 of the beginning of the web 2.0.


(NDLR): And burb.tv is the incarnation of that?


NM: At least on our little scale, yes.


Maybe on the same line, also with Shumon, we were invited to write for the annual research book that they do at the AA. In this case the book called Cities from Zero looking at new environment completely build from scratch and obviously ideally build in one goal and build at a very large scale; for instance the environments in China, environments in the Middle-East. I was making an argument that China is a rather unique environment when it comes to cities from zero, truly new cities. Because there are actually no new cities in China. The entire country consists of new cities ie. what we have been calling China is a "new city nation"; and that argument become more and more feasible if you understand that not only are they trying to build hundred of new cities from scratch, even the old cities like Beijing where we are now are being overhauled and rebuild so fast and so radical that they should be understood as new cities. A little preview to our later work...





(NDLR): Then the influence of "some people" (ndlr: Neville begann is career in OMA) on your work?


NM: This is a funny book. "Mutations" or "Mutations" (en français dans le texte), Rem is really good at doing these titles with double meaning. He is extremely good at it. In this case, the book itself I think is really weird, because it was made to sell, to be able to afford to do another book which was Project on the City 1, about the Pearl River Delta. And they were already really deep into it, maybe they even had already started doing the shopping book. But they couldn't obviously fund it. So they just slammed together this book with sort of articles in progress, a lot of images, previous projects, invited some very clever people like Hans Ulrich Obrist and produce this almost instant book. You know a book that is almost as instant as the cities it is trying to talk about. And it looks cheap and shitty to sort of maximise the profit maybe I'm not sure! But it's nice for some other reasons: even there is absolutely no solid direction in the book, there is obviously no real serious effort to make a clearly organized book. It's a bit of slap dash project. It's even field with some really blanked clichés. But that makes it kind of exciting, that's why I quite like the book: because you don't feel unheard to read it. You know you are happy to flip through it and now I read an article in any kind of order. It's always obviously quite good and quite rewarding. The pictures are really good. I'm surprised that many pictures in this book haven't been published in other books, especially this serie from the sky taking pictures of these typical urban typologies in the US, Florida, Vegas, Houston etc...


(NDLR): Talking about pictures... from pictures to pictures?


NM: Talking about pictures, China Daily Life is a picture book in itself. This is a book done by Reineke Otten, but actually the project and the documents were assigned by us. Reineke is an old friend of mine from Rotterdam, and she is a very fast photographer. And she was starting to do what she called "streetology" what is sort of documenting street life. But she does that so fast, that I felt her work was quite methodological. Her work is quite systematic. So I said can you come with us to China for half a year and do your machine gun photography. The only thing what you need to do is categorize it. Stick it in clear folder. Obviously it was a huge amount of work, very difficult. Shout everything you are fascinating by, from chickens to people, to buildings, to door naps, to interiors, to street sections, like specific highways, small streets, hutongs etc... to clouds, anything you want, wallets, as long as you make a clear systematic survey of it. So that's what she done and she published in this book.


(NDLR): And that's what you used in the "Chinese Dream", right?


NM: And it's in the back of the Chinese Dream as a sort of images glossary.



Pictures by Reineke Otten (c) Dynamic City Foundation



(NDLR): Just a question: why did you class it by colors at the end?


NM: The colors was an idea... I thought it was very exciting to let's examine or isolate a single color from a picture. To get an impression what might feel so distinct in Chinese cities. Because there is very very small things that really define our city look and you are not quite aware of it. It's subconscious. So we isolated like the pink plastic...


(NDLR): The Shenzhen look...


NM: The Shenzhen look and the Golden dream etc.


(NDLR): Thank you very much Neville Mars, director of the Dynamic City Foundation.




Neville Mars (何新城) founded the Dynamic City Foundation in 2003 in Beijing, a research and design institute focused on the rapid transformations of China's urban landscape. Its focus is to map the course of China's flash-urbanization and investigates how designers can regain control over the increasingly organic process. The main research framework is China's objective to build 400 new cities by the year 2020. In a multidisciplinary team of sociologists, planners and designers the DCF has developed a catalog of design prototypes suitable for the increasingly market-driven conditions of China. The overarching goal is to establish an holistic approach for China’s cities, to in turn cultivate a healthier society of less social disparities or gaps. The work is open source and available at www.BURB.tv