18.9.10


Ne ( presque ) rien faire est ( presque ) très bien
Guy Debord, John Cage & Rem Koolhaas




Quelques domaines sont motivés principalement par le maximalisme, l’architecture en fait parti, se distinguant par son besoin infini de prouver. Le succès dépend du contenu du portfolio, de la taille du projet, du prestige du client, du déluge de publicité et, de la narcissique, compulsive et théâtrale personnalité de l’architecte, pour qui tout n’est jamais assez. L’ambition débridée est la marque de fabrique des prestigieuses agences et écoles d’architecture, ou « rentrer à la maison » est considéré comme renoncer. Pour n’importe qui espérant échapper la corvée de répondre basiquement à la demande programmatique du client, dormir en dessous son bureau est parfaitement normal. Pour devenir un architecte pensant, créatif il ne suffit pas seulement d’être capable de faire n’importe quoi, il faut aussi le faire. Travail, travail, travail, c’est le mot d’ordre.

Face à ce déluge d’énergie, plus rien ne doit être laissé au hasard, l’architecte tente de tout contrôler et ce qui compte est de poser un univers total.. Tout doit être complètement travaillé, ne laissant ni questions ouvertes, ni le moindre trou non rempli. Basé sur une totale refonte, l'architecture tente une retouche de la réalité plutôt que l’addition de subtiles touches. Elle veut toujours des stratégies, alors que les tactiques sont souvent de meilleures solutions.

Pour une grande partie de l’architecture contemporaine, le dossier de concours semble représenter la condition unique. Il est vu comme un cadre de travail qui défini autoritairement là ou le projet doit aller, c’est la mission qu’il faut remplir sans questionner la mission plus que cela. En adoptant cette relation au programme, l’architecture se met fatalement au dépend de sa qualité. Si le programme est maladroitement défini, ce qui est souvent le cas avec les compétitions, alors la réponse architecturale à la question posée ne peut pas être beaucoup plus intelligente. Le programme n’est pas une donnée ultime, mais un matériel visant à être traité, réfléchi, testé, questionné et si nécessaire, redéfini.

Cet acte de réinterroger la question peut causer aux architectes une variété de conclusions radicales. Une d’entre elle peut être de rejeter le projet.
Il y a par exemple ce fameux épisode concernant l’architecte Cédric Price et le couple marié qui lui ont demandé de construire une maison. Lorsqu’ils ont commencé à expliquer ce qu’ils désiraient, ils ont eu une dispute, marquant évidemment leurs différents désirs et concepts à propos de la maison. Finalement Price les a interrompu, et leur a dit que ce dont ils avaient besoin n’étaient pas d’un architecte, mais d’un avocat, et a rejeté la commande. Même si Price n’a pas fait le projet, il n’a pas clairement rien fait. Il a fait une proposition dans l’urgence concernant ses clients pour les mettre devant le fait que le vrai problème n’était pas de construire une maison, mais de reconstruire leur relation. Ce qui est un refus constructif.


C’est aussi le cas quand le projet refuse de se matérialiser en tant qu’œuvre, comme la fameuse composition de John Cage appelé 4’33’ qui consiste en un pianiste assis au piano et ne jouant pas pendant exactement 4 minutes 33 secondes. Ce n’est évidemment pas rien, et cela devient un scénario vraiment dense. Le public commence à se demander ce qu’il se passe et pourquoi le musicien ne commence pas à jouer. Pour compenser l’insupportable silence, les spectateurs commencent à émettre des bruits furtifs, raclant leurs gorge, gesticulant nerveusement.. C’est seulement quand le musicien se lève et quitte la scène que l’auditorium réalise soudainement que la performance pour laquelle il était venu et qu’il attendait impatiemment venaient de se terminer.

Ce qu’il aurait pu apparaître au premier moment comme une annihilation de la musique prouve bientôt le contraire. En l’empêchant la musique de jouer, Cage donne la possibilité a l’audience d’écouter le son du silence, et par conséquent, dans la même voie que Beuys élargit la notion du travail de l’art, il élargit radicalement la notion de la musique en éliminant la distinction entre le son et le bruit. La suspension d’une action qui est attendu peut induire quelque chose substantiel à produire. Il pourrait être intéressant que l’architecture puisse se réserver ce droit de prendre d’avantage cette forme d’action inversé.



Textes .
L'abolition du travail en tant qu'aliénation et activité séparée de la vie qui va, Guy Debord
Doing (almost) nothing is (almost) all right, Ole Bouman
Reprogramming architecture, Ilka&Andreas Ruby
Bigness, Rem Koolhass



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